Lucien «Frenchie» Jarraud est décédépar Sylvain Larocque
Lucien «Frenchie» Jarraud, l'une des figures marquantes de la radio québécoise des 50 dernières années, s'est éteint vendredi à l'âge de 84 ans.
En vacances en France avec sa compagne Diane, M. Jarraud a subi une intervention chirurgicale le 24 juillet 2007 après avoir été hospitalisé pour des problèmes respiratoires.
Né le 7 septembre 1922 à Paris, M. Jarraud commence à travailler dès l'âge de 10 ans dans un cirque de la capitale française. Il quitte l'école à 14 ans et l'année suivante part en tournée en France et en Allemagne avec un cirque itinérant.
En 1939, le jour de son 17e anniversaire de naissance, il s'engage comme volontaire dans l'armée française. Envoyé au front en Belgique, il sera notamment décoré de la Croix de guerre. Engagé par la suite dans la Résistance française, il est arrêté par les Allemands et déporté dans un camp de travail près de Hambourg. Il s'évade en 1943 et commence à prendre part à des spectacles (revues) à Paris.
À la même époque, Lucien Jarraud sert de doublure pour l'acteur Pierre Blanchar dans les scènes d'acrobatie du film Le Bossu de Jean Delanoy. Il avait fait de même pour Charles Trenet dans Romance de Paris de Jean Boyer (1941).
À la fin des années 1940, Jarraud est de la toute première émission présentée à la télévision française, où il rencontre les Compagnons de la chanson, dont faisait alors partie le comédien Paul Buissonneau.
En juin 1948, Lucien Jarraud prend le bateau pour New York et part en tournée avec le cirque Barnum & Bailey. C'est là qu'on le surnommera «Frenchie». Il travaille ensuite avec Charles Aznavour et Pierre Roche, en tournée aux États-Unis, puis au Québec.
C'est en juillet 1948 que Jarraud met les pieds à Montréal pour la première fois. Il sera acrobate dans le cirque Hamid Morton, puis participera à des revues avec l'effeuilleuse américaine Lily Saint-Cyr. Il deviendra ensuite agent pour les artistes français en tournée aux États-Unis et au Canada (dont Édith Piaf et Charles Trenet). Aux prises avec des problèmes de jeu, il se retrouve presque à la rue au début des années 1950.
Happé par la radioFrenchie Jarraud fait ses débuts à la radio montréalaise au milieu des années 1950 en traduisant des nouvelles d'Europe pour la station CJMS. L'année suivante, il innove en offrant d'animer, pendant la nuit, la première tribune téléphonique au Québec, toujours sur les ondes de CJMS, alors en faillite. Son salaire: 10 $ pour le premier mois, puis 45 $ par semaine pour les deux années suivantes. «Les gens avaient envie de parler et, sans le savoir, je venais d'inventer les lignes ouvertes», racontait-il dans son autobiographie, publiée en 1998 sous la plume de Roger Sylvain.
«Les gens (...) enlevaient leur dentier pour ne pas qu'on reconnaisse leur voix, parce qu'ils voulaient parler politique, ils voulaient parler contre (Maurice) Duplessis et tout ça. Mais il ne fallait pas que tu parles contre Duplessis!» confiait-il au journaliste Dominic Arpin de TVA en 2005.
Frenchie Jarraud n'hésite pas à bousculer les idées reçues en invitant à son micro, au début des années 1960, une prostituée, un témoin de Jéhovah, un homosexuel et des naturistes.
Il s'improvise aussi, bien avant Claude Poirier, «négociateur», après que des prisonniers aient fait appel à lui en 1962. Mettant à profit son expérience d'acrobate de cirque, il a aussi escaladé le pont Jacques-Cartier 12 fois afin de sauver des désespérés qui voulaient se suicider. Il restera à CJMS jusqu'en 1970.
Dès 1961, Frenchie Jarraud fait une première incursion à la télévision québécoise en jouant dans un téléroman de Jean Despréz, Joie de vivre. Peu après, il passe à Télé-Métropole, tout juste entrée en ondes. Il coanime avec Claude Lapointe Face à face, une émission de débats d'actualité.
À la télévision, Lucien Jarraud fait sa marque avec Le Coeur sur la main, une émission du Canal 10 dans laquelle il vient en aide aux gens dans le besoin, éprouvés par la maladie ou un sinistre. L'animateur fait appel au public pour procurer aux démunis meubles, électroménagers et autres biens essentiels. L'émission a été diffusée de 1964 à 1966.
«C'était devenu trop gros, expliquait-il dans son autobiographie. Les gens réagissaient tellement que Télé-Métropole a eu peur de perdre le contrôle.»
En 1967, M. Jarraud intervient pour sauver un enfant de deux ans que le père gardait en otage dans une résidence de Montréal. Il affronte le père armé d'une carabine et réussit à le désarmer.
Travail caritatifEn 1974, l'animateur se présente pour le Parti conservateur dans la circonscription montréalaise de Saint-Henri et perd par 2666 voix aux mains du député libéral sortant, Gérard Loiselle.
La même année, Lucien Jarraud est nommé au conseil d'administration du Centre hospitalier de Verdun (CHV), tout juste mis en tutelle. En 1977, il deviendra président du conseil et mettra sur pied la Fondation du CHV, qui existe toujours.
Dans la même veine, il anime, en 1976 et en 1977, la version québécoise du téléthon de Jerry Lewis contre la dystrophie musculaire, en direct de Plattsburgh, dans l'État de New York. Les deux années suivantes, il l'animera à Montréal, après avoir convaincu M. Lewis de créer un événement séparé pour le Québec.
Pendant 14 ans, de 1978 à 1992, Frenchie Jarraud travaille à la station CKVL comme animateur et journaliste, notamment à une tribune téléphonique. Il s'est même occupé de l'agence de voyages de CKVL pendant un moment. Au fil des ans, on a aussi pu l'entendre à CKLM et CHRS.
En 1985, il commence à s'intéresser à la sculpture sur bois. Quatre ans plus tard, il expose à la galerie Edouard-Manet.
En 2003, il effectue un retour à la radio sur les ondes de CJMS, devenue une station de musique country de la Rive-Sud de Montréal. Jusqu'en 2006, il a animé Le p'tit monde à Frenchie. Depuis quelques mois, il était à la barre de l'émission Le Choc des générations.
En 2005, le Conseil canadien des normes de la radiodiffusion a réprimandé M. Jarraud et l'un de ses coanimateurs, Gary Daigneault, pour avoir divulgué le numéro d'un auditeur en ondes.
«Je ne prendrai jamais ma retraite, avait-il dit en 2005 à TVA. Le jour que je quitterai, je meurs.»
Source: http://www.canoe.com