Radio: huit semaines pour séduire
Isabelle Massé
La Presse
Tous les étés, des hommes et femmes héritent du siègedes animateurs matinaux vedettes partis en vacances. Le défi est grand, tant pour les directeurs de programmation, qui doivent mettre la main sur LA bonne personne, que pour les remplaçants, comme André Ducharme et Franco Nuovo, qui doivent rapidement se faire accepter des auditeurs inconditionnels. Parfois ça passe, parfois ça casse...
Le mandat est clair et précis: faire comme les Arcand, Homier-Roy et Pagé pendant les huit semaines les plus chaudes de l'année. Animer, aux aurores, une émission radio sans trahir sa propre personnalité, mais qui doit ressembler à celle présentée tout au long de l'année par l'animateur-vedette de la station. Une tâche ardue pour l'équipe d'animateur, chroniqueurs, temporairement en place et pour la direction qui les choisit.
«Comme auditeur, j'ai souvent été déçu par les émissions estivales, au contenu plus léger et musical, avoue Yves Bombardier. On prend souvent pour acquis que les gens ont décroché, alors que la plupart ne sont en vacances que deux semaines.»
Lorsque le directeur de la programmation du 98,5 FM a embauché André Ducharme, il y a quelques semaines, il lui a donc confié la même tâche qu'à Paul Arcand: mener de longues entrevues et s'exprimer sur tous les sujets possibles. «Je veux qu'il me donne son opinion», résume Yves Bombardier. Sur tout? Même si nos opinions n'ont pas toutes le même poids et qu'on risque à la longue manquer de crédibilité? «C'est le propre du FM parlé, répond-il. Je pars avec l'idée que les auditeurs sont occupés au point d'avoir besoin de gens qui analysent pour eux. Ils sont crédibles, car ils contribuent à la réflexion collective.»
«Je choisis des sujets avec lesquels je suis le plus à l'aise, mentionne toutefois André Ducharme, entré en poste à la fin de juin. Cela dit, on a tous une opinion sur bien des choses. Je m'exprimais sur bien des sujets à l'époque de RBO. Mon rôle à la radio n'est pas si différent de celui d'humoriste.»
Mais de là à ce qu'André Ducharme dise que la tâche est simple et qu'il a accepté le siège d'Arcand en ignorant qu'il pourrait recevoir une brique et un fanal...
«Marie-Louise (Arsenault, sa copilote à Puisqu'il faut se lever) m'a dit, au début: «tu peux être drôle». Mais je voulais me prouver que je pouvais faire la job sérieusement. Ce sont de grands souliers à chausser, car Paul Arcand fait à peu près l'unanimité. C'est le meilleur intervieweur. Je sais très bien qu'il y a des gens qui se demandent pourquoi moi, un humoriste, sans se rappeler que j'ai étudié en communications et journalisme!»
L'été est-il un mauvais moment à passer pour les animateurs et directeurs de programmation? Un test? Non, répond Yves Bombardier. «J'ai choisi André parce que c'est un gars de contenu, dit-il. Il collabore aux entrevues de Tout le monde en parle. À l'époque de RBO, il participait à fond aux textes. Il est connu et avait déjà remplacé Paul Arcand, en janvier.» Et la toujours bien préparée Marie-Louise Arsenault? «Elle est articulée. Peu importe le sujet, son opinion tient la route. Chaque fois que je l'entends, elle prend position.»
De l'expérience
Les émissions des principales FM montréalaises francophones sont pilotées par des gens qui ont de l'expérience à la radio. «Je déteste le terme équipe B, lance Sylvain Simard, directeur des programmes d'Énergie 94,3 qui a embauché Laurent Paquin et Richard Turcotte (des Grandes Gueules), aux côtés de la dynamique Nadia Bilodeau, à la barre de C't'encore drôle. On est dans la continuité. Notre but n'est pas de perdre les trois quarts de nos auditeurs l'été.»
À RockDétente, on a offert le poste au gars de radio Éric Nolin. À CKOI, Jean-René Dufort et Josée Boudreault restent, en alternance, à la barre de Du jus et Dufort. «Car c'est une nouvelle émission (entrée en ondes en avril), note Johanne Ménard, directrice de la programmation de la station. Ils ne prennent que deux semaines de vacances, cet été.»
À Radio-Canada, on a fait appel au remplaçant officiel de René Homier-Roy pendant la saison régulière, Franco Nuovo. «C'est bien meilleur le matin est une émission que je connais bien et que j'ai beaucoup de plaisir à faire, mentionne Nuovo. Cette fois, on a composé autour de moi. L'émission reste branchée sur l'actualité, mais avec un ton estival. On se permet plus de rires et de légèreté.»
«On demande toutefois autant de rigueur qu'à l'automne, précise Louise Carrière, directrice générale de la Première Chaîne de Radio-Canada. On a un auditoire qui réagit beaucoup, critique et encourage. Donc même l'été, il ne faut pas se relâcher.»
N'empêche, malgré les intentions de départ des directeurs de programmation, l'auditeur peut parfois avoir l'impression d'écouter une équipe moins professionnelle et soudée qu'elle le devrait. «Huit semaines, c'est court pour former des gens, avoue Louise Carrière. Il y a toujours une partie de risque. C'est ingrat, car on demande en huit semaines de bien performer, mais les gens choisis sont bien préparés et encadrés.»
Une chroniqueuse critiquée
Une écoute matinale assidue des Première Chaîne, 98,5 FM, Énergie, CKOI, Rythme et RockDétente, ces deux dernières semaines, nous a permis de constater que certains manquaient d'expérience: on avoue qu'un spectacle est bon alors qu'on ne l'a pas encore vu, on résume des textes de quotidiens ou mensuels sans nommer la source.
Un lecteur s'est notamment plaint à La Presse du travail de Véronique Moreau, à C'est bien meilleur le matin. Pas tant parce que la chroniqueuse culturelle a une façon bien à elle de faire de la critique, mais parce qu'elle a avoué avoir quitté la représentation d'une pièce qui l'ennuyait après 30 minutes. On doute aussi de l'impartialité d'une personne qui couvre des spectacles du Festival Juste pour rire alors qu'elle a travaillé pendant des années dans l'équipe de Juste pour rire...
«Véronique est capable de faire preuve d'objectivité, estime Louise Carrière. Comme c'est l'été, on critique, mais on veut surtout donner le goût aux gens de sortir.»
Et le fait qu'on sente parfois un malaise ou que l'animateur s'amuse aux dépens de sa chroniqueuse? «C'est de la taquinerie, dit Nuovo. Ça a tout de suite cliqué avec tous les membres de l'équipe.»
À d'autres postes, la formule de Du jus et Dufort gagnerait à être resserrée, le contenu de C't'encore drôle à être moins léger et le nombre de sujets sur lesquels doivent se prononcer quotidiennement Ducharme et Arsenault, au 98,5 à être un peu réduit. Mais on le répète, huit semaines, c'est bien peu pour proposer une émission parfaite.
Source: http://www.cyberpresse.ca