Le bingo à la rescousse de la radio
MC Gilles
La Presse
Collaboration spéciale
Pour arriver à boucler leur budget, une quinzaine de radios communautaires québécoises tiennent chaque semaine un bingo. On joue de chez soi, dans le confort de son salon, ou alors on se rend dans les locaux de la station de radio, comme l'a fait notre collaborateur MC Gilles à CHAA FM, à Longueuil.
Aucune interdiction de fumer et un minimum de distractions potentielles. Bienvenue dans cet univers étrange du samedi matin: le bingo radiophonique.
Vous vivrez l'excitation associée au bruit du boulier et l'attente nerveuse du prochain numéro tiré. Puis surgira peut-être de votre appareil radiophonique un retentissant «O-soixante-treize; Ooooo-seventy-thrrrrreeeee» qui vous ouvrira les portes du gros lot. À vos cartes et à vos postes d'écoute, voici l'amalgame de deux concepts gagnants liés par la rime: la radio et le bingo.
Debbie Régnier joue toutes les semaines au bingo radiophonique. Malgré ce samedi matin maussade de novembre, elle s'est déplacée dans les locaux de la station CHAA du Vieux-Longueuil.
Des milliers d'autres écoutent l'émission, comme chaque semaine, par la voie des ondes. Et quelle ne fut pas sa joie lorsqu'elle a pu s'écrier «BINGO» à l'apparition du T gagnant sur une de ses multiples cartes. Trois cents beaux dollars pour cette auditrice fidèle de cette émission amusante.
«Je joue toutes les semaines et je ne manque jamais mon rendez-vous. Habituellement, j'écoute l'émission de chez moi, mais j'ai fait un spécial ce matin, dit-elle. Si de la visite arrive à la maison, ça ne m'empêche pas de jouer, on va s'acheter d'autres cartes au dépanneur et tout le monde joue!»
Simple comme...
Le principe est simple. Vous achetez tout d'abord une carte de bingo dans votre dépanneur préféré de Longueuil. Par la suite, vous vous branchez sur le 103,3 FM, le samedi matin 10 h, lors de l'émission hebdomadaire Bingo Radio. Ne vous reste qu'à apposer les numéros annoncés par la «calleuse» sur les bonnes cases de vos cartes de jeu.
En cas de bingo, on ne déplace pas ses cartes, on ne crie pas bingo, mais on téléphone à la station! Entrecoupée de succès rétro, cette émission permet à ces auditeurs d'espérer gagner entre 3000 $ et 5000 $ chaque semaine.
Activité salvatrice des radios régionales
«Aux Îles-de-la-Madeleine, par exemple, le bingo est une religion», dit Éric Tétreault, directeur général de la seule radio de la région de Montréal à diffuser cette activité.
Magalie Paré, secrétaire générale de l'Association des radios communautaires (ARCQ), précise : «En effet, 16 radios communautaires exploitent des bingos radio, dans un peu plus de 10 régions du Québec. Cette activité génère des revenus nets globaux de 1,2 million. Ces revenus sont stables dans l'ensemble depuis quelques années et les montants générés par le bingo média dans chacune de ces radios sont supérieurs au montant de subvention qu'elles reçoivent de l'État.»
Cette activité est venue compenser le désengagement de l'État dans le financement des médias communautaires. L'imagination des gestionnaires a dû être poussée vers de nouvelles limites.
Le bingo occupe maintenant une part importante des budgets des radios locales. Ses activités de financement font partie des moeurs de l'auditoire.
«Le financement des radios communautaires réside dans une diversification de ses sources de revenus entre la publicité, les subventions, qui sont de plus en plus limitées, et l'autofinancement qui comprend par exemple les radiothons et les bingos», souligne Magalie Paré.
Financement par le jeu
La stratégie marketing de ce concept s'apparente à celle adoptée pour les loteries traditionnelles et par les tenanciers de bars pour leurs vidéopokers. On mise sur l'appât du gain des participants lorsqu'ils possèdent un maximum de moyens, soit au début de chaque mois.
Cette stratégie douteuse se reflète dans la maximisation des prix lors des premiers tirages du mois. Le bingo de CHAA par exemple, double son grand prix pour augmenter la vente de cartes au début du mois, offrant plus de 11 000 $ en gains potentiels. Motivation supplémentaire inspirée des bingos en salle qui ne reculent devant rien pour aller chercher l'argent des joueurs plus riches au début du mois.
Surveillés par la Régie des alcools, des courses et des jeux, ces bingos comportent évidemment les mêmes règles que les bingos traditionnels qui visent le financement d'organismes.
Pour Éric Tétreault, l'avantage principal de cette loterie média par rapport aux loteries traditionnelles réside dans l'utilisation des revenus générés.
«CHAA FM est une entreprise à but non lucratif et tous les gains de notre bingo servent directement à la communauté. Ce service a un double avantage pour nous, il finance directement notre radio communautaire et permet une accessibilité à notre média au plus grand nombre.»
Les hauts et les bas du bingo
Mais cette activité ne procure pas un financement stable pour ces radios. Les revenus dépendent des fluctuations économiques du milieu. On aurait pu croire, par exemple, à une augmentation de la clientèle du bingo radiophonique en raison de l'interdiction des produits du tabac en salle. Mais il n'en est rien.
«Nous avons été plus touchés par l'augmentation du coût de l'essence de l'été dernier, précise M. Tétreault. Cette hausse des coûts énergétiques a directement affecté le budget des gens, ce qui a occasionné une baisse de 20 % de nos ventes de cartes depuis juillet dernier.»
Reste qu'en plus des revenus provenant de la vente de cartes, des espaces publicitaires à la radio peuvent être vendus à des commerçants à la recherche d'un public cible. Ce revenu publicitaire procure une autre source de financement à ces médias et un second avantage à la diffusion du radio bingo.
Public fidèle
Ce mode de divertissement rejoint un public plus vaste que les traditionnels bingos. Selon un sondage effectué par la radio CHAA auprès de ses joueurs en 2001, 40 % ne fréquentent pas les salles de bingo. De plus, ces joueurs-auditeurs sont plus jeunes que les joueurs en salle - majoritairement âgés de plus de 54 ans. Ces joueurs exclusifs au monde de la radio sont surtout des professionnels qui jouent en famille ou entre amis en déjeunant le samedi matin. Voilà une activité familiale à coût raisonnable: 7 $ pour une carte complète.
La radio de Longueuil rejoint avec cette émission un public particulier et très fidèle. «Si j'achète une carte, je joue! Il ne m'est jamais arrivé d'acheter une carte et de ne pas écouter l'émission du samedi pour savoir si j'avais gagné», précise notre gagnante du jour, Mme Régnier.
Source: http://www.cyberpresse.ca