PAUL ARCAND: Ne jamais déraper
Agnès Audet
Journal de Montréal
Le roi des ondes radio est encore vivable et le succès ne lui est pas monté à la tête. En fait, les cotes d’écoute ne veulent pas dire grand-chose pour lui.
Le titre le fait bien rire. La couronne que Le Journal de Montréal lui a fixée sur la tête dans le reportage lors de son «couronnement» aussi. Il admet même que les taquineries autour de son succès aux derniers sondages BBM, qui placent son émission radio du 98,5FM en tête, sont nombreuses. Mais il rappelle aussi qu’aux sondages précédents, on avait illustré sa piètre performance en l’étendant par terre sur un ring de boxe!
Les bonnes cotes d’écoute rendent Paul Arcand heureux, mais ça dure environ 24 heures. Après, au-delà des chiffres, il se penche sur leur signification réelle et retrousse ses manches pour faire de Puisqu’il faut se lever une émission encore meilleure.
«Les cotes d’écoute sont éphémères et fragiles. Ça peut basculer d’un bord et de l’autre à tout instant, commente-t-il.
Un jour, René (Homier-Roy) est troisième, le lendemain il peut être premier. Et puis honnêtement, qu’on soit premier, ça ne change pas grand-chose.
Ça sécurise les gens ici qui se sont embarqués dans l’aventure. Mais c’est tout.»
Une chimie, pas de dérapage
Le secret de son succès, Paul Arcand, qui cumule les morning shows depuis près de 17 ans, ne peut pas l’expliquer. Il se hasarde à dire qu’il faut adopter un contenu qui colle à la réalité des gens, qu’il préfère un format et un ton non uniforme qui varie entre sujets légers et sérieux.
Fier de l’année 2006, il a du mal à se rappeler les gaffes et les mauvais moments. Son meilleur coup, par contre, il le connaît: «C’est d’avoir créé un mood et une chimie d’équipe», dit-il.
Quant à sa plus grande fierté, c’est d’avoir évité le dérapage, en trois heures de direct, lors de la fusillade de Dawson, grâce à l’expérience acquise lors de la crise du verglas.
Pas un sauveur
Pas tanné de vous faire mentir? lui demandons-nous. De défendre la veuve et l’orphelin? «Quand les invités mentent, je sais que les gens à l’écoute le savent, note-t-il. Je n’ai pas besoin de toujours faire la démonstration, d’entourer 20 fois le mensonge au crayon gras. Parfois, un silence suffit.»
«Quant à la veuve et à l’orphelin, je n’ai jamais prétendu les défendre et je ne joue pas les sauveurs. L’objectif d’un show du matin n’est pas de régler du cas par cas. Mais à force de faire des reportages sur les pratiques frauduleuses, tous les médias ensemble amènent l’état ou l’industrie à intervenir.»
En fait, Paul Arcand n’est tanné de rien du tout. Il se dit toujours curieux des événements et quand il lui arrive d’en avoir ras le bol… il prend des vacances.
Informations insignifiantes
Au coeur de l’actualité, l’animateur est plus que quiconque submergé par la nouvelle. Il admet qu’avec les chaînes de nouvelles continues, Internet et les bulletins de nouvelles prolongés, la quantité d’information est énorme.
«Les heures d’ouverture ont été prolongées, dit-il pour reprendre le thème des magasins, mais je ne suis pas sûr que les gens consomment plus d’information pour autant. Ce n’est pas parce qu’un mets est disponible qu’on en mange tout le temps. Mais il y a un danger. J’ai déjà dit àma mère de faire attention: ce n’est pas parce qu’un événement est diffusé live à la télé que la tragédie a duré six heures.»
Paul Arcand évoque avec résignation la guerre des médias qui s’arrachent les scoops et encouragent l’inondation du marché. «Aux États-Unis, dit-il, ils ont calculé le pourcentage de vraies nouvelles diffusées dans les médias. Il se situe à près de la moitié.»
«Au Québec, il y a encore beaucoup de nouvelles insignifiantes, surtout du côté francophone, accuse l’animateur.
Tiens, je suis sûr qu’on va faire des topos sur la neige cette semaine (l’entrevue a été réalisée en pleine tempête lundi). C’est con comme la pluie, tout autant que les commentaires des voisins lors d’un drame familial.»
Selon Arcand, l’information au Québec n’est en général pas mauvaise, mais il soutient qu’il fait un survol des différents quotidiens du week-end en à peine cinq minutes. «La mode est aux gros dossiers, souvent faits trop vite, estime-t-il, alors qu’on oublie d’exploiter plein de filons, comme celui du petit gars enlevé et gardé captif durant quatre ans au Missouri. Moi, j’aime les histoires.»
Faire bouger les pharmacies
Paul Arcand prépare un second grand documentaire pour le cinéma sur la forte consommation de médicaments des Québécois. Un autre document-choc qui va faire bouger les choses.
Pour son deuxième
documentaire après Les Voleurs d’enfance, Paul Arcand traite d’un sujet étonnant qui touche beaucoup de gens: la croissance de consommation de médicaments, notamment ceux qui contrôlent l’humeur:
«Statistiquement, on en bouffe des pilules, constate l’animateur, souvent toutes sortes de mélanges sans savoir pourquoi.»
«Le cerveau est aujourd’hui tellement sollicité, par la lumière, le son, le travail ajoutet- il, et il n’est peut-être pas fait pour ça, ce qui explique tant de burn-out, de fatigue et de déprime.»
Paul Arcand en est aux premières étapes de son projet. La recherche est complétée et il a commencé quelques tournages auprès de victimes de surconsommation de médicaments.
Crainte et confiance
La réputation de l’interviewer est à deux tranchants. Certains le craignent et se cachent pour ne pas le rencontrer alors que d’autres, au contraire, sont plus enclins à se confier à lui.
Paul Arcand compte se pencher sur les médicaments, mais également sur les compagnies pharmaceutiques qui dans leurs publicités convainquent d’abord les clients potentiels qu’un problème existe, avant de proposer la pilule miracle, «un prélude à un médicament ou un vaccin», fait-il remarquer, comme cela été le cas pour Viagra et ses messages avec Guy Lafleur.
Néanmoins, le sujet du film pourrait bifurquer ou se préciser en cours de route. Il n’y a pas de date fixe de sortie. Le documentaire est produit par Denise Robert.
Prendre conscience de nos faiblesses
Paul Arcand n’est pas tendre à l’égard du Québec: «Il va falloir prendre conscience de nos faiblesses, dit-il, notre province est pauvre.»
Pour Paul Arcand, le Québec est un endroit pauvre, sans richesses naturelles, assis sur une économie fragile, tel le secteur manufacturier où disparaissent régulièrement des centaines de jobs. Province pauvre aussi, croit-il, parce qu’hyper-taxée, parce que tous ses grands chantiers sont publics et aussi parce qu’elle commence à recevoir la péréquation (transferts fédéraux aux provinces).
«La réalité nous rattrape», estime Paul Arcand qui n’est pas totalement en désaccord avec les Lucides de Lucien Bouchard qui estiment qu’on est sur le point de frapper un mur.
«Moi, je dis que lorsque les babyboomers vont entrer dans les centres d’accueil, tout le contexte va changer», prévient l’animateur.
Réalités et contradictions
Les enjeux du Québec sont clairs dans l’esprit de Paul Arcand et l’avenir peu reluisant. D’abord, sur le plan sociétal, l’animateur pointe le secteur de l’environnement qui mesurera à l’avenir les dégâts aussi vite que chaque année et l’inertie des politiciens, qui par peur évitent d’imposer des mesures drastiques aux citoyens.
Il pointe aussi le secteur de la santé et ses problèmes récurrents, sa clientèle vieillissante qui va exiger de plus en plus de soins. «On ne peut pas toujours fuir et faire semblant, pas toujours pelleter dans la cour du voisin, martèle-t-il. Ces réalités vont sous peu nous rattraper, comme l’écart de plus en plus grand entre riches et pauvres.»
Du côté personnel, Paul Arcand a aussi sa vision des choses et considère que les contradictions sont flagrantes.
«D’un côté, on essaie de prendre de plus en plus soin de soi et on tente de concilier travail et famille. En même temps, déplore-t-il, on travaille comme des cr…de fous et plus on travaille, plus on veut prendre soin de soi.»
Source: http://www.canoe.com